Pour entrer dans les salons de S et M, une condition était suffisante, mais elle était nécessaire : il fallait savoir se fondre dans le décors tout en l’agrémentant, à sa façon. L’intérieur de chez S et M rivalisait en minimalisme avec le Vittoriale de Gabriele D’Annunzio : une foule de papillons volait, figée à jamais, sous des globes Napoléon III ; au sommet d’une vitrine contenant assiettes peintes, livres anciens, ex-voto et fioles de poppers, se tenait à l’arrêt un renard myope, prêt à bondir sur le buffet ; les murs cramoisis ou vert amande regardaient le visiteur des mille yeux de leurs personnages d’encre et d’huile, captifs en leurs cadres : en haut à gauche, un jeune enfant mélancolique en habit bleu ciel, plus bas une religieuse possédée soulevant sa jupe devant le confessionnal, sur la droite, une femme couchée, au visage pointu comme un Modigliani et à la croupe large comme un Courbet, et au centre, les prunelles incandescentes d’une créature habillée à la mode espagnole aspiraient tous ceux qui passaient à sa hauteur. La grande Isadora régnait en farouche impératrice sur le salon carmin, jugeant d’un œil expert la mise des débutants, dégrafant d’un coup d’ongle les corsets mal lacés, aérant d’un geste les taffetas trop plats, enjôlant d’un revers de faux cils en carton les invités masculins encore un peu gauches et timides mais dont l’habit, bien que mal mis, laissait imaginer un corps vigoureux et sans fard.