Ce n’est pas à Ithaque, non, que j’ai vu Ulysse pour la première fois. Il n’était ni assis sur un trône, ni attaché à un mât, ses compagnons ne se cachaient pas sous le ventre de moutons. Il était contre un muret, à l’entrée du village, une bière à la main, entouré de ses amis. Derrière les lauriers leurs voix s’élevaient et faisaient passer la garrigue pour les collines d’Athènes.
Les moustiques étaient particulièrement féroces ce soir-là, et la citronnelle se mélangeait à la sueur et à la poussière qu’elle avait collée aux bras et aux jambes. Je n’arrivais pas à lire. Derrière le laurier, il me semblait entendre les récits d’Homère. J’appris plus tard qu’il était question d’une fille que l’un d’entre eux hésitait à quitter. La distance avait eu raison d’eux, et il ne leur restait que l’habitude de quelques messages envoyés le soir avant de se coucher, accompagnés parfois de photos de chats.
Il m’aurait fallu des bouchons de cire pour résister à ces sirènes. Je me souviens avoir posé mon livre, puis j’ai senti la peau de mes cuisses se décoller doucement de la chaise en plastique du bar, dans un petit bruit de succion. Je suis passée de l’autre côté du laurier et je crois avoir récité la seule phrase de grec ancien dont je me souvenais : Ὁ ἥλιος ἀναφαίνεται καὶ ἐγείρει τὸ ἔργον. Le soleil se lève et réveille le charpentier.